Vendredi dernier a été projeté dans le cadre de la 15ème session du Festival « Cinéma de la Paix ? » le film « Ces filles-là » (il banat doul), de l’égyptienne Tahani Rached.

Synopsis:
Un documentaire qui nous plonge dans l’univers d’adolescentes qui vivent dans les rues du Caire, une rue qui est tout à la fois un espace de violence, d’oppression et de liberté. Y vivre, c’est vivre au cœur de la violence, obligatoirement dans l’instant présent, en dehors de toutes normes et prescriptions, mais toujours au gré de son cœur et de ses désirs.
Marginalisées et rejetées, Tata, Mariam, Abir et Donia sont étonnement modernes et libres dans une société si prude et normative. L’énergie, le goût et la rage de vivre de ces filles-là, leurs rires et leurs mimiques, nous donnent à découvrir un monde insoupçonné.

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La projection a été suivie d’un débat. Certains ont trouvé que le film renvoyait une belle image de l’Égypte, une dame allant jusqu’à dire avoir envié la vie de ces filles ! Cela peut paraitre étonnant, mais c’est parce que la réalisatrice a montré ces jeunes filles comme jouissant d’une très grande liberté, loin de tout modèle ou lien social. Elles dégagent en plus une certaine joie de vivre. Et puis, elles sont très solidaires entre elles.

D’autres personnes au contraire ont trouvé que la réalisatrice a donné une très mauvaise image de son pays d’origine, puisque justement ces filles vivent sans respecter les règles sociales, sans suivre la «morale bien-pensante», en n’obéissant qu'à leurs propres instincts. Il ne faut bien-sur pas oublier qu’il s’agit de l’Égypte, pays arabo-musulman conservateur!

Quel était donc le souhait de la réalisatrice? Peut-être tout simplement montrer une situation existante sans porter aucun jugement. Par contre, il est évident qu’elle a trouvé un excellent moyen de nous montrer la vie quotidienne de ces jeunes filles, sans que l’ambiance du film soit lourde, difficile ou oppressante et sans que le téléspectateur ne se trouve obligé de juger, ou de condamner, ou de prendre position contre ces filles. Elle a montré des filles humaines, très attachantes et sympathiques, menant une vie très dure. Tout simplement.

Certains téléspectateurs ont aussi reproché au film de ne pas avoir montré les liens entre ces jeunes filles et la société égyptienne, entre ces jeunes filles et les voisins, bref entre ces jeunes filles et tous les autres habitants du quartier…. Contrairement à ce que l’on aurait pu croire, ces filles habitent dans la rue, mais dans un quartier bourgeois. Les immeubles sont beaux et les voitures garées dans la rue sont de belles voitures aussi. On est donc loin du cliché du quartier défavorisé. Mais existe-t-il un lien entre ces filles et les habitants du quartier ?

Au début du film, on voit des chauffeurs de taxi parler à la caméra et donner des conseils aux filles. L’une d’elles arrive et leur reproche leur hypocrisie. Elle leur reproche de faire semblant de s’occuper d’elles parce que la caméra est là. Elle leur rappelle qu’habituellement ils font comme s'ils ne les voyaient pas, comme si elles étaient inexistantes. Et on remarque qu’en effet, ces filles de la rue et les habitants du quartier partagent le même espace, mais s’ignorent totalement. Aucune interaction entre eux. Ils ne font que cohabiter.

Les seuls liens que ces filles ont avec «l’extérieur» est une jeune femme qui vient les voir, discuter avec elles, essayer de résoudre leurs problèmes, et surtout leur donner de l’amour. Elle est pour ces filles comme une grande sœur ou une maman.

Un autre lien entre ces filles et le monde extérieur : la police, et donc l’État égyptien. Aucun policier dans le film, mais les filles en parlent souvent. La police vient pour les arrêter, les réprimer, les frapper parfois, les renvoyer…. Une des jeunes filles raconte d’ailleurs qu’un policier est venu leur donner un ultimatum pour quitter le quartier. Les filles lui avaient répondu qu’elles n’avaient pas où aller. Il a insisté pour qu’elles partent et les a même menacées. Elles lui ont alors demandé de leur trouver un endroit où aller. Le policier affirme qu’il n’en avait pas. Cela signifie-t-il qu’il n’y a pas de structures pour accueillir ces jeunes filles ? N’y a-t-il pas de structures non plus pouvant accueillir les jeunes filles enceintes et les jeunes mères avec leurs bébés qui sont donc aussi élevés dans la rue ? Ces bébés sans nom que leurs mamans ne peuvent inscrire aux registres de l’état civil parce qu'elles ne sont pas mariées et que leurs enfants sont donc illégitimes!!!!!

Lors du débat, cette scène a été l’occasion de comparer l’Égypte qui ne reconnait pas ces enfants illégitimes avec la Tunisie qui non seulement reconnait ces enfants mais qui depuis une loi de 1998 leur donne même un nom patronymique. Depuis 2002, la Tunisie reconnaît d’ailleurs la filiation par la seule mère et donc reconnait des enfants nés de mère célibataire. Or, en 2013, des élues islamistes s’étaient opposées à cette loi de 1998 et avaient réclamé son abrogation.

La réalisatrice a donné la parole essentiellement aux jeunes filles des rues, mais elle a aussi fait parler des garçons. On constate dès lors que finalement même dans la rue, il n’y a pas d’égalité entre les sexes. Ces enfants des rues ont en commun un mode de vie, une liberté totale, des règles de solidarité identiques…. Mais… Mais pour les filles, en plus de toutes les difficultés auxquelles elles doivent faire face tous les jours, par exemple pour trouver à manger ou pour trouver un abri pour dormir, elles doivent aussi trouver un moyen de se protéger contre les harcèlements sexuels et les viols. Elles doivent se protéger des hommes en général qui essayent d’abuser d’elles, mais pire, elles doivent aussi se protéger de leurs propres compagnons des rues. Leurs témoignages sont d’ailleurs assez durs. Certaines préférant se résigner à subir les assauts des «mâles» pour éviter les problèmes et les coups et blessures. Il est en effet courant pour ces filles de se faire balafrer en cas de résistance.

Parfois ces filles doivent faire face à des viols collectifs qui peuvent durer plusieurs jours de suite. Le terme employé est d’ailleurs effrayant : «stockage». Lorsque la réalisatrice demande ce qu’est le stockage, on apprend qu’une fille peut être amenée dans un endroit isolée, et gardée ou stockée plusieurs jours voire plusieurs semaines par ces bandes de garçons pour leur servir d’esclaves sexuelles. Lorsque ces jeunes n’en veulent plus, ils les libèrent. Tout simplement.

Conséquences de ces relations sexuelles consenties ou pas : les grossesses non désirées, mais obligatoirement menées à terme, ces jeunes filles ne pouvant se faire avorter.

Autre conséquence aussi de ces relations sexuelles hors mariage, donc haram (péché) dans cette société arabo-musulmane, ces filles se sentent coupables. Elles n’assument pas. Elles se sentent coupables et sales. Même si certaines essayent de se justifier en disant qu’elles n’ont pas fait ce choix et que Dieu en est témoin!!!!

Bien que jouissant donc d’une grande liberté, bien qu’elles chantent, dansent, jouent… ces filles sont-elles heureuses ? Il est permis d’en douter. Elles sont toutes droguées. Elles sniffent de la colle, fument des joints, prennent des comprimés... Et elles sont toutes accros. Même celles qui font une tentative de retour dans leurs familles, reviennent dans la rue très rapidement, parfois même au bout de quelques heures.

Il y a encore beaucoup à dire à propos de ce film, mais le mieux serait d’aller le voir. Peut-être sera-t-il projeté bientôt dans les salles de cinéma tunisiennes. On peut du moins l’espérer.

Le film « Al Bant dol » de Tahani Rached a été présenté en sélection officielle hors compétition au festival de Cannes 2006 et a remporté le grand prix du festival d'Ismaïlia en 2006.

Massir/ Neila Driss