By walidK

Initiateurs du printemps arabe, les Tunisiens ont été aussi les premiers à se rendre aux urnes pour le premier scrutin libre dans l’histoire du pays. Neuf mois après la chute de Ben Ali, plus de 80% des électeurs potentiels se sont dirigés massivement aux bureaux de vote pour élire leurs représentants au sein de l’Assemblée constituante qui aura la lourde tâche de poser les fondations d’un nouveau régime et de dessiner la Tunisie de demain.

Les Tunisiens ont vécu leur  baptême du feu démocratique,  l'acte de voter ayant  perdu tout son sens sous la présidence de Habib Bourguiba et de Ben Ali qui se faisaient élire avec des scores soviétiques de 99%. Le premier scrutin  pluraliste s’est, toutefois, apparenté à un véritable saut dans l’inconnu pour ce petit pays aux portes de l’Europe mais longtemps  dirigé d’une main de fer.

A Tunis comme dans les régions déshéritées du centre-ouest qui étaient l’épicentre de la révolte contre l’ancien régime, la rue bruissait, dimanche, de propos où se mêlent engouement et crainte, joie et désabusement, allégresse et fatalisme.  L’avenir du plus petit pays du Maghreb qui fut le premier à apporter un cinglant démenti aux affirmations des esprits chagrins  selon lesquelles la «rue arabe» devait être tenu par un chef nécessairement autoritaire oscillait entre imprévisible et pas trop prévisible.


Lundi  et alors que le dépouillement était toujours en cours, le parti islamiste Ennahda  s’attendait à une large victoire aux premières élections libres de la Tunisie avec environ 40% des voix.
Ennahda s'attend à obtenir « environ 40% des voix», a déclaré lundi à l'AFP Samir Dilou, membre du bureau politique du parti. «On n'est pas très loin des 40%, ça peut être un peu plus un peu moins, mais on est sûr de l'emporter dans 24 (des 27) circonscriptions" du pays, a déclaré M. Dilou, citant «les propres sources» de son parti. L’OPA islamiste sur la Tunisie est-elle en cours? Tout semble l’indiquer mais, les avis sur les répercussions de ce premier test démocratique du printemps arabe sont partagés. Les islamistes d’Ennahda, dont le chef a affirmé quelques jours seulement après son retour au pays après 20 ans d’exil à Londres n’être « ni Khomeiny, ni Ben Laden », sont ils des anges ou des démons ?


Tout au long de la campagne, la principale formation islamiste a  protesté de sa conversion à la démocratie. Ses représentants ont  invoqué le modèle turc de  l’AKP, le parti islamo-conservateur d’Erdogan, et cherché à se démarquer des salafistes dont l'activisme heurte la pratique tunisienne d'un islam tolérant. «Nous ne reviendrons pas sur la polygamie interdite et  sur le code du statut personnel de la femme. Nous n'imposerons pas le port du voile»,  a clamé Souad Abdel-Rahim,  candidate non voilée de la formation islamiste à Tunis durant le dernier jour de la campagne électorale.

Véritable changement idéologique de ce parti inspiré de la mouvance des Frères Musulmans ou double discours ? Il est très tôt pour le savoir. Les craintes sont toutefois légion dans le camp laïque. «Les laïcs tunisiens ne doivent pas sous-estimer les risques posés par Ennahda  qui est aujourd’hui tiraillé entre une direction qui affiche un discours politique ouvert et une base souvent plus radicale qui ne rêve que d’imposer la Charia», a averti Ahmed,  le chef de file du Pôle démocratique moderniste (PDM), une coalition regroupant quatre petits partis de gauche, qui souhaite constituer le noyau dur d’un «front moderniste» au sein de l'Assemblée constituante.
Les progressistes  redoutent notamment une remise en question des acquis modernistes arrachés de haute lutte. La Tunisie contemporaine affiche sa relation décomplexée avec l'islam. On peut acheter de l'alcool dans les bars et certains magasins, les femmes ne portent pas toutes le « niqab» ou le hidjab, les touristes bronzent en bikini sur les plages et la communauté juive vit sans crainte. La plupart des Tunisiens suivent les grands préceptes du Coran sans pratiquer un islam radical et s'enorgueillissent de leurs traditions libérales et modernes. « Nous sommes un parti civil qui est favorable à un Etat civil. Jugez-nous sur nos actes et nos propositions, pas sur des présomptions», clame Ali Laârayedh, co-fondateur du parti.


Dans son programme, le mouvement  fondé au début des années 70 surfe sur les thèmes à la mode: indépendance de la justice, séparation du pouvoir, liberté de culte et surtout la lutte contre un chômage endémique. Conscient des difficultés économiques de la Tunisie, Ennahda assure vouloir tendre la main à toutes les forces représentées au sein de la Constituante pour former un gouvernement d’union nationale. Une option que plusieurs grandes  formations modernistes, notamment  le Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL) et le Congrès pour la République (CPR) ne rejettent pas.  Reste désormais que le mouvement islamiste prouve sur le terrain sa conversion à la démocratie.

Après avoir donné le ton dans le monde arabe, la petite Tunisie semble , de nouveau, être un laboratoire où l’on démontrera si l’islamisme est soluble dans la démocratie dans le monde arabe.